Apportez-moi la tête de Lara Crevier ! by Laurent Chabin

Auteur:Laurent Chabin [Chabin, Laurent]
La langue: fra
Format: epub
Tags: BIB Thriller
Éditeur: Éd. Libre Expression
Publié: 2014-05-04T22:00:00+00:00

5 février

Rien, rien, rien…

Accompagné par Louvette Ratel et deux agents, je suis retourné rue Saint-Antoine. Nous avons repris l’interrogatoire de tous les résidents, systématiquement, nous leur avons montré la photo de Lara Crevier et celle de Christian Dausty. Zéro résultat. Jamais vu, no sé, never see… Rien, rien, sinon la honte d’être montréalais devant le pitoyable inventaire des mille misères humaines accumulées dans cet immeuble pourri.

Pourquoi ils se sont sauvés de chez leurs parents, ces ados dépossédés de tout, de passé comme d’avenir, c’était donc pire chez eux ? Pourquoi ils ont quitté leurs tropiques, ces crottés, pour venir s’entasser dans des taudis glacials afin de picorer les miettes abandonnées par leurs anciens colonisateurs ? C’est donc si invivable, ce qu’on leur a laissé comme pays ?

Honte, dégoût…

Je me suis aussi fendu d’une deuxième visite à Gilles Delorme, à l’université. J’ai pu rencontrer quelques-uns des étudiants qui ont suivi les mêmes cours que Lara Crevier, histoire de voir qui elle fréquentait. Néant.

D’abord, ces petits incultes ne nous aiment pas, ça se sent. Ils deviennent des murs de brique, nous répondent du bout des lèvres oui, non, je ne sais pas. Calvaire, c’est pourtant une des leurs qui s’est fait décapiter ! Mais leur méfiance envers les bœufs est la plus forte. Plus forte que leur peur…

Non, ils ne fréquentaient pas Lara. Oui, ils voient qui c’était. Une fille distante, solitaire. Bizarre… Des amis, des connaissances, des relations ? Non, pas qu’ils sachent. Elle n’était pas open, disent-ils… C’est aberrant ! Il faut que cette fille ait mené une double vie…

Dans les bars de danseuses, les agents envoyés avec la photo de Lara n’ont rien pu récolter non plus comme renseignements. Certains tenanciers – des filles aussi, parfois – savent pourtant se montrer coopératifs quand ils ont chaud au cul. Ils finissent par lâcher un ou deux noms en échange d’un peu de clémence. Mais là, les gars ont fait chou blanc. Il semblerait que Lara n’a jamais été vue dans ce genre d’endroit.

Il y avait un bar de danseuses à un coin de rue de l’endroit où le corps de Carla a été retrouvé. Je n’ai jamais voulu y voir autre chose, à l’époque, qu’une sale coïncidence. Carla était une fille propre. C’était ma fille. Mais quand je vois ces gamines qui échouent là, après je ne sais quelles misères et frustrations, et pas toutes issues de milieux dits « défavorisés », je me demande si nous connaissons jamais vraiment nos propres enfants. Qu’est-ce que je savais de Carla ? Que pourrais-je jurer que je savais d’elle ? Une étudiante sérieuse, taciturne, sans histoire. Sans histoire, justement… Autant dire que je ne savais rien… Je ne peux plus voir un bar de danseuses sans penser à elle. Sans avoir envie de vomir…

Quant aux salons de massage, ce n’est pas tout à fait le même business, admettons. Pas grand-chose à en tirer, les filles ne sont pas fichées, la plupart du temps. Ça se passe en marge. Étudiantes, jeunes chômeuses parfois.

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